Les droits des actionnaires minoritaires

Les droits des actionnaires minoritaires

L’article 1832 du Code civil dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». 

La bonne gestion de cette entreprise commune suppose l’existence d’un droit de vote accordé à chaque associé pour chaque prise de décision en assemblée générale. En ce sens, l’article 1844 du Code civil prévoit que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Dans des conditions normales, chaque associé, indifféremment de sa part dans le capital, dispose d’un pouvoir décisionnel au sein de l’entreprise commune. 

Dans le meilleur des scénarios, tous les associés font légalement usage de ce droit. Cependant, il existe des sociétés où les actionnaires minoritaires se retrouvent contraints par une majorité qui exerce, de manière abusive, son droit de vote. 

Consciente que cette situation est préjudiciable pour la société, le législateur protège les actionnaires minoritaires en admettant l’abus de majorité (I). Les actionnaires minoritaires, en réponse à une majorité abusive, devront prendre garde à ne pas se retrouver dans l’abus de minorité (II)

I – Qu’est-ce-que l’abus de majorité ?


L’associé minoritaire doit savoir reconnaître un abus de majorité (A) pour pouvoir le sanctionner (B). L’associé peut également s’organiser avec d’autres associés afin d’éviter un tel abus (C)

A – La définition de l’abus de majorité

Par un arrêt en date du 18 avril 1961, la Cour de cassation a retenu qu’il y a « abus de majorité lorsque qu’une résolution a été prise contrairement à l’intérêt général et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité ». 

Afin d’être valablement qualifiée d’abus de majorité, la décision prise doit tout d’abord être contraire à l’intérêt social. Très fréquemment, l’abus de majorité résulte d’un abus positif qui résulte du vote d’une décision en assemblée. Il est alors très aisé de déterminer si la décision est contraire à l’intérêt social : il suffit de prouver que celle-ci a causé un préjudice à la société. 

De plus, la décision préjudiciable prise par la majorité des associés doit avoir été motivée par la volonté de favoriser le groupe majoritaire au détriment du groupe minoritaire. 

Si la décision litigieuse ne réunit pas ces deux conditions, la Cour de cassation refuse de qualifier l’abus de majorité (Com. 10 juin 2020 n°18-15.614). 

B – La sanction de l’abus de majorité

La décision qui réunit ces deux conditions peut être sanctionnée par le juge. Les actionnaires minoritaires peuvent saisir la juridiction compétente afin d’obtenir l’annulation de la décision abusive. Cette solution sera retenue lorsque l’abus de majorité résulte d’un abus positif. 

Mais, dans de rares cas, l’abus de majorité peut résulter d’une abstention : dans ce cas, il s’agit d’un abus négatif. Or, en l’absence de décision, il est impossible d’agir en nullité. Dans ce cas de figure, 

l’article 1240 du Code civil prévoit que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». 

Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, les actionnaires minoritaires peuvent agir en réparation du préjudice causé et obtenir des dommages-intérêts. 

C – Éviter l’abus de majorité

Les actionnaires minoritaires peuvent s’organiser afin d’éviter une telle situation. Ces derniers peuvent conclure des pactes d’actionnaires qui leur permettent de convenir, à l’avance, la manière dont chaque cocontractant va voter pendant une ou plusieurs assemblées. 

Conformément à l’article L242-9 du Code de commerce, le pacte d’actionnaire ne doit pas avoir pour effet de retirer le droit de vote d’un associé et de rémunérer ce dernier en échange de son vote. De plus, la convention ne doit pas être contraire à l’intérêt social. 

Pour autant, le pacte d’actionnaire ne permet pas d’écarter totalement le risque de blocage de la part de la majorité. La décision votée est valable même si elle a été prise contrairement à un pacte d’actionnaire. Par conséquent, le pacte d’actionnaire n’offre pas de garantie sur l’issue du vote. 

II – Qu’est-ce que l’abus de minorité ?

Il peut être tentant pour les actionnaires minoritaires de bloquer le processus décisionnel en réponse à l’abus de majorité. Un tel blocage est peu recommandable puisque la jurisprudence reconnaît également l’abus de minorité. Afin d’éviter tout usage abusif de ses droits, l’actionnaire minoritaire a tout intérêt à connaître la notion d’abus de minorité (A) et d’en connaître les sanctions (B)

A – La définition de l’abus de minorité

A l’instar de l’abus de majorité, l’abus de minorité peut être définie comme le « décision des associés minoritaires contraire à l’intérêt social et prise dans l’unique dessein de favoriser les intérêts minoritaires au détriment des autres associés » (Lexique des termes juridiques 2021-2022, S. Guinchard et T. Debard, Dalloz). 

Les juges apprécient de manière plus rigoureuse l’existence d’un abus de minorité́ qu’un abus de majorité́. La décision doit être contraire à l’intérêt social mais également être « essentielle » pour la société (Com. 15 juill. 1992, n° 90-17.216). L’appréciation du caractère essentiel de la décision repose sur des éléments de faits spécifiques à chaque société et relève donc de l’appréciation souveraine des juges du fond. 

En toute hypothèse, il est possible d’en déduire qu’une décision est essentielle lorsqu’elle met en péril la survie de la société et qu’il n’existe aucune alternative possible. 

De plus, comme l’abus de majorité, la décision des actionnaires minoritaires doit avoir été prise dans l’unique objectif de favoriser le groupe minoritaire au détriment des autres associés (Com. 9 juin 2021, n° 19-17.161). 

B – La sanction de l’abus de minorité

Très souvent, l’abus de minorité résulte d’un abus négatif. Les associés minoritaires bloquent la prise de décision essentielle pour la société. Aucune décision n’ayant été prise, l’action en nullité n’est pas envisageable. Les actionnaires majoritaires peuvent toutefois obtenir des dommages-intérêts. Cependant cette solution est peu satisfaisante dès lors que la situation de blocage n’est pas résolue. 

Pour cette raison, depuis l’arrêt Flandin en date du 9 mars 1993, il est admis que le juge puisse désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants et de voter en leur nom dans le sens conforme à l’intérêt social et aux intérêts légitimes des actionnaires minoritaires. 

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