La révision pour imprévision des contrats commerciaux de matières premières

La révision pour imprévision des contrats commerciaux de matières premières

 

Les publications mensuelles de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) relatives à l’indice du prix des denrées agricoles démontrent une tension croissante du marché depuis quelques années. La crise sanitaire et les perturbations climatiques ont causé un déséquilibre entre l’offre et la demande et, par conséquent, une hausse des prix. L’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, les sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie ainsi que le blocage de l’acheminement de certaines ressources sont autant de facteurs renforçant le mouvement haussier des prix.

 

Cette situation met en difficulté les parties de contrats commerciaux, notamment ceux portant sur les matières premières. L’augmentation du coût d’exécution du contrat peut inciter les parties à envisager une modification de la convention.

 

Le présent article revient sur les conditions cumulatives de la révision pour imprévision (I) et la démarche à suivre lorsque ces conditions sont réunies (II).

 

 

I – Quelles sont les conditions de la révision pour imprévision ?

 

L’article 1195 du Code civil dispose que :

 

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

 

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

 

La révision pour imprévision suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : un changement de circonstances imprévisible (A), une exécution excessivement onéreuse pour une partie (B) et l’absence d’acceptation des risques (C).

 

A – Un changement de circonstances imprévisible

 

Le contrat commercial doit être soumis « à un changement des circonstances imprévisible » au moment de la conclusion.

 

La date du changement de circonstances imprévisible est importante. Si ce changement s’opère postérieurement à la formation du contrat, celui-ci est susceptible de justifier une révision pour imprévision sur le fondement de l’article 1195 du Code civil (sous réserve des autres conditions). Au contraire, si la convention était déséquilibrée dès sa formation, on ne parle pas d’imprévision mais plutôt de lésion.

 

Le caractère imprévisible de la situation implique que les parties ne pouvaient raisonnablement pas  l’anticiper. Si rien n’est impossible par nature, les juges n’imposent pas pour autant aux parties d’anticiper toutes les situations peu probables susceptibles d’affecter l’économie du contrat.

 

En conséquence, l’apparition d’un virus n’est pas un évènement imprévisible en soi ; mais son ampleur et ses conséquences pour les parties ayant conclu antérieurement à sa survenance peuvent être considérées comme imprévisibles. De même, le changement de circonstances lié à la situation en Ukraine peut être considéré comme imprévisible par ceux qui ont conclu avant le 24 février 2022.

 

Notons qu’en cas de contrat à tacite reconduction, la date d’appréciation du caractère imprévisible est la date à laquelle le contrat est reconduit.

 

B – L’exécution excessivement onéreuse pour une partie

 

Le changement de circonstances doit rendre « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Ni le caractère onéreux, ni le caractère excessif ne sont précisés par le législateur ou la jurisprudence.

 

En tout état de cause, il est possible d’en conclure que la partie qui se prévaut de la révision pour imprévision doit justifier d’une exécution qui excède la simple difficulté. Le caractère excessif pourra être déterminé eu égard au coût engendré par le changement de circonstances mais également la brutalité de la hausse de ce coût.

 

C – Absence d’une clause d’acceptation des risques

 

Le cocontractant doit prendre soin de relire le contrat commercial afin de vérifier si clause d’acceptation des risques liés à l’imprévision est prévue par la convention.

 

Si celle-ci comporte une telle clause, le cocontractant ne pourra pas se prévaloir des dispositions de l’article 1195 du Code civil dès lors qu’il a accepté de supporter les risques.

 

L’absence de clause d’acceptation des risques n’est pas suffisante. Si le changement de circonstance était prévisible au moment de la conclusion du contrat, cette condition n’est également pas remplie. En effet, dans une telle hypothèse, les juges considèrent que la partie a implicitement accepté le risque de sa survenance puisqu’elle avait le choix, au moment de la conclusion, de ne pas contracter ou d’y insérer des conditions plus avantageuses.

 

 

II – Que faire en cas de changement imprévisible de circonstances et d’exécution excessivement onéreuse ?

 

Lorsque les trois conditions cumulatives de la révision pour imprévision sont réunies, les parties doivent  tenter de renégocier le contrat (A) et, en cas d’échec, saisir le juge afin qu’il tranche le litige (B).

 

A – Renégociation conventionnelle préalable

 

La demande de renégociation peut se fonder sur une clause de révision. Cette clause n’oblige pas les parties trouver un accord. En cas d’échec, la partie lésée pourra agir en responsabilité contractuelle si son cocontractant a fait preuve de mauvaise foi au cours de cette renégociation.

 

En dehors de toute clause, l’article 1195 du Code civil prévoit que la partie qui s’estime victime d’une exécution contractuelle devenue excessivement onéreuse peut « demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Malgré son caractère excessivement onéreux, cette demande de renégociation ne suspend pas l’exécution de la convention.

 

En dernier recours, les parties peuvent saisir le juge pour obtenir la résolution du contrat, l’adaptation ou la révision du contrat.

 

B – L’intervention du juge dans le contrat

 

L’article 1195 du Code civil précise que « les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

 

Aux termes de l’article susvisé, le principe est que la révision judiciaire ou la résolution du contrat est demandée « d’un commun accord ». Ce n’est qu’après l’écoulement d’un délai raisonnable que la loi autorise le juge à réviser le contrat ou y mettre fin « à la demande d’une partie ».

 

Ainsi, la demande auprès du juge peut aboutir à trois solutions. En premier lieu, la saisine du juge peut aboutir à la résolution du contrat. Celle-ci peut être demandée d’un commun, auquel cas le contrat est résolu à la date et aux conditions que les parties ont déterminées. En l’absence d’accord entre les parties, le contrat est résolu à la date et aux conditions que le juge fixe.

 

En second lieu, d’un commun accord entre les parties, la saisine du juge peut aboutir à l’adaptation du contrat.

 

Enfin, lorsque les parties ne trouvent d’accord sur aucune des alternatives précitées, le juge peut réviser le contrat. Ce pouvoir de révision confère au juge le pouvoir de modifier le prix convenu ainsi que les conditions d’exécution du contrat afin d’alléger le coût lié à celle-ci.

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