Faire ses affaires avec de la cryptomonnaie ?

Faire ses affaires avec de la cryptomonnaie ?

Depuis l’apparition du Bitcoin en 2009, la cryptomonnaie fascine et attire de plus en plus d’investisseurs en quête de placement rentable. Stimulé par la crise sanitaire et la perte de pouvoir d’achat, le marché des cryptomonnaies a connu une croissance vertigineuse : en 2021, ce marché était estimé à plus de 2,000 milliards de dollars.

 

Au-delà du particulier qui cherche à réaliser un investissement lucratif, de plus en plus d’investisseurs aguerris et d’entrepreneurs s’intéressent à cette « monnaie » virtuelle. Pour exemple, Elon Musk, directeur général de Tesla, ne cesse de faire la promotion du Dogecoin, alternative du Bitcoin, dans laquelle il a lui-même investi.

 

La démocratisation de la cryptomonnaie peut conduire les entrepreneurs à se demander si son utilisation est possible dans le monde des affaires.

 

Pour cette raison, il convient de faire un point sur l’état du droit français concernant l’investissement dans une société en cryptomonnaie (I) ainsi que le paiement en cryptomonnaie (II).

 

 

I – Est-il possible d’investir dans une entreprise en cryptomonnaie ?

 

L’investissement dans une entreprise peut concerner deux situations : l’entrepreneur qui souhaite créer sa société en effectuant un versement de capital social (A) ou l’investisseur qui souhaite acheter des actions (B) en cryptomonnaie.

 

A – Le versement de capital social en cryptomonnaie

 

En l’état du droit français, le versement de capital social en cryptomonnaie semble difficile à envisager. L’article 1843-3 du Code civil liste les trois catégories d’apports en société : l’apport en numéraire, l’apport en nature et l’apport en industrie.

 

Étant généralement perçue comme un moyen de paiement, il est naturel de penser que l’apport en cryptomonnaie constituerait un apport en numéraire. Or, en droit français, l’apport en numéraire désigne le paiement réalisé avec une monnaie ayant cours légal. En vertu de l’article L111-1 du Code monétaire et financier, seul l’euro a cours légal au sein du territoire français. Par conséquent, l’apport en numéraire en cryptomonnaie est impossible.

 

Au-delà de son aspect « monétaire », la cryptomonnaie peut être perçue comme un bien susceptible de faire l’objet d’un apport en nature. La jurisprudence semble d’accord avec cette qualification : le Bitcoin a déjà été qualifié de bien consomptible « tout comme la monnaie légale, quand bien même il n’en est pas une » et fongible (T. com., Nanterre, 26 févr. 2020, n° 2018F00466). Si rien n’empêche textuellement un associé à effectuer un apport en nature avec de la cryptomonnaie, certaines dispositions légales rendent complexe cette opération.

 

En effet, en application des articles L223-9, L225-8 et L225-14 du Code de commerce, un commissaire aux apports doit, dans certains cas, procéder à une évaluation de la valeur des apports en nature. Or, il résulte du mode de fonctionnement même de la cryptomonnaie que sa valeur est fortement instable. Elle connaît des périodes de hausses et de baisses de valorisation très rapides. À titre d’exemple, au 11 mai 2021, le cours du Bitcoin était à 46,831.92 euros ; dix jours plus tard, celui-ci a connu une baisse jusqu’à atteindre 28,906,26 euros. Il est très périlleux pour le commissaire aux apports de tenter d’estimer la valeur de la cryptomonnaie qui est purement spéculative et repose sur l’engouement des investisseurs pour celle-ci.

 

Malgré les risques de surévaluation de l’apport et le cas échéant, de mise en cause de responsabilité, rien n’empêche textuellement un associé d’effectuer un apport en nature avec de la cryptomonnaie.

 

B – L’achat d’actions en cryptomonnaie

 

Si le droit français ne permet pas d’acheter des actions, au sens traditionnel du terme, en cryptomonnaie, il permet aux investisseurs d’en faire usage en échange de biens incorporels représentant des droits sur le projet financé.

 

En ce sens, la loi Pacte du 22 mai 2019 a introduit dans le Code monétaire et financier un nouvel article L552-1 qui ouvre la possibilité d’une offre au public de jetons, ou Initial Coin Offering.

 

L’Inital Coin Offering est une opération de levée de fonds permettant aux start-ups de financer leur projet entrepreneurial. La spécificité de cette offre au public réside dans son fonctionnement : la société n’émet pas de titres sociaux, mais elle offre au public des jetons, ou tokens, interchangeables contre des cryptomonnaies.

 

Le jeton peut être défini comme le « bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques 2021-2022,

Dalloz).

 

Suite à l’acquisition du jeton, l’investissement dispose d’un droit d’usage et de vote dans le projet financier. Pour cette raison, les investisseurs attirés par la spéculation préféreront les Security Token Offering qui leur permettront de détenir un security token leur conférant un droit à rétribution financière.

 

Au-delà de la question de l’investissement, l’entrepreneur peut être amené à se demander si le droit français lui permet de réaliser des paiements en cryptomonnaie.

 

 

II – Est-il possible d’effectuer un paiement en cryptomonnaie ?

 

Le paiement en cryptomonnaie pose deux problématiques : le paiement de dividendes (A) et le paiement du salaire (B).

 

A – Le paiement de dividendes en cryptomonnaie

 

En matière de paiement de dividendes, le Code de commerce prévoit deux hypothèses : le versement en numéraire et le versement en actions.

 

Comme vu précédemment, l’euro étant la seule monnaie en France ayant cours légal, le versement en numéraire ne peut résulter d’une distribution de cryptomonnaies.

 

De même, l’action est définie comme le « titre négociable, émis par les sociétés par actions, qui représente une fraction du capital social et constate le droit de l’associé dans la société » (T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques 2021-2022,

Dalloz). Il résulte de cette définition que les actions sont intrinsèquement liées à la société et sont émises par elles. La cryptomonnaie ne repose pas sur la société, ni sur ses activités ; dès lors, le versement en actions ne peut résulter de la distribution en actions.

 

Pour autant, les termes des dispositions en vigueur ne sont pas stricts et rien n’empêche une société à distribuer de la cryptomonnaie. Mais par soucis de sécurité, cette distribution peut-être envisagée de manière accessoire à un versement traditionnel en numéraire ou en actions.

 

Si rien n’empêche formellement le paiement des dividendes en cryptomonnaie, il n’en va pas de même pour le paiement du salaire.

 

B – Le paiement du salaire en cryptomonnaie

 

L’article L3241-1 du Code du travail prévoit que « sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée, le salaire est payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal ».

 

Le paiement en espèces désigne le paiement opéré avec des billets de banque et des pièces métalliques ayant cours légal. En application de l’article L111-1 du Code monétaire et financier, le paiement en cryptomonnaie ne peut être considéré comme un paiement en espèces.

 

S’agissant du chèque et du virement à un compte bancaire ou postal, ils impliquent nécessairement la participation d’une banque. Or, il résulte de sa nature décentralisée que le paiement en cryptomonnaie ne peut être reconnu comme un paiement du salaire légal.

 

L’ouverture progressive de certains pays à cette « monnaie » virtuelle ainsi que l’engouement toujours plus fort pour celle-ci conduiront peut-être les législateurs français à permettre le paiement des salaires en cryptomonnaie. Mais en l’état actuel du droit, cette opération n’est pas permise.

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