Contrat de sous-traitance : être indemnisé en cas de déséquilibre significatif

Contrat de sous-traitance : être indemnisé en cas de déséquilibre significatif

La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ». Outre le domaine du marché public ou privé, ce type de convention se retrouve essentiellement dans la grande distribution ou dans la sphère industrielle.

Classiquement, le contrat de sous-traitance lie un opérateur économique majeur, appelé entrepreneur principal, qui sous-traite une partie de son activité à un opérateur économique plus faible, le sous-traitant. Cette différence entre ces deux acteurs peut faire émerger la question de la situation de dépendance économique du sous-traitant à l’égard de son cocontractant. Cette situation de dépendance économique est susceptible d’engendrer un déséquilibre significatif entre les acteurs du contrat de sous-traitance.

Si ce déséquilibre significatif est avéré, le législateur a prévu que le sous-traitance peut engager la responsabilité de son cocontractant et obtenir réparation de son préjudice en vertu de l’article L. 442-1 du Code de commerce.

L’indemnisation du sous-traitant au titre du déséquilibre significatif (II) suppose que la réunion des conditions posées par l’article L. 442-1, 2° du Code de commerce (I).

 

I – Quelles sont les conditions du déséquilibre significatif ?

L’article L. 442-1 du Code de commerce prévoit qu’engage « la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : […] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il revient à la société qui se prétend victime d’un tel déséquilibre de prouver sa soumission ou la tentative de soumission (A) de son cocontractant à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties (B).

A – La soumission ou la tentative de soumission

La soumission ou la tentative de soumission s’entend comme l’absence de pouvoir de négociation ou l’état de dépendance de celui qui se prétend victime d’un tel déséquilibre. La soumission fait référence au rapport de puissance inégal fréquemment rencontré dans les contrats d’affaires entre les opérateurs économiques.

Notons que l’entrepreneur principal n’est pas forcément l’opérateur dominant. En effet, il est aisé d’envisager un rapport de force du sous-traitant sur l’entrepreneur principal lorsque le sous-traitant dispose d’une certaine expertise et d’un moyen de production innovant ayant pour effet de contraindre l’entrepreneur principal.

La jurisprudence définit la soumission comme le fait de « faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial [ désormais « l’autre partie » ], du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques, mais elle ne s’identifie pas à une contrainte irrésistible » (CA Paris, 29 oct. 2014, n° 13/11059).

La soumission est caractérisée par l’appréciation souveraine des juges du fond eu égard à nombreux facteurs : l’appréciation du pouvoir de marché du cocontractant, du pouvoir de négociation du sous-traitant ou du contenu du contrat.

La part de marché que le cocontractant détient dans un secteur d’activité déterminé permet aux juges de retenir que ce dernier dispose d’un pouvoir de marché important de nature à soumettre son cocontractant à des clauses déséquilibrées. Si la jurisprudence retient que le seuil de 15 % à 20 % de détention est suffisant dans le secteur de la grande distribution, ce seuil a été jugé insuffisant dans le secteur de la sous-traitance en chaudronnerie industrielle (CA Paris, 30 mai 2014, RG n° 11/23178).

Concernant les modalités de négociation du contrat, la jurisprudence retient ces modalités sont susceptibles de justifier une action en déséquilibre significatif lorsqu’elles sont inexistantes ou encore rendues difficilement réalisables (CA Paris, 29 oct. 2014, RG n° 13/11059).

Enfin, s’agissant du contenu du contrat lui-même, certaines clauses sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif. En ce sens, un arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 25 novembre 2020 a retenu que « dans la relation entre l’entrepreneur principal et son sous-traitant, si les clauses relatives aux remises de fin d’année ne sont pas nulles, elles peuvent néanmoins créer un déséquilibre significatif générateur de dommages-intérêts pour le sous-traitant ». En l’espèce, ces clauses n’avaient fait l’objet d’aucune négociation, car elles étaient pré-rédigées et inclus en annexe, et n’étaient équilibrées par aucune obligation réciproque de l’entrepreneur principal.

Au-delà de la soumission, le déséquilibre significatif peut être caractérisé par une tentative de soumission. Selon la jurisprudence, « la tentative de soumission ne suppose pas l’exercice de pressions irrésistibles ou de coercition, mais plutôt l’existence d’un rapport de force économique déséquilibré entre les parties dont il se déduit la soumission du partenaire, influencé par de simples suggestions, invitations fermes ou pressions » (CA Paris, 18 sept. 2013, RG n° 12/03177 et TC Paris, 20 mai 2014, RG n° 2013/0707793). L’entrepreneur principal ne peut échapper à l’application de l’article L. 442-1 du Code de commerce en démontrant que la clause litigieuse a été inappliquée.

Plus généralement, la jurisprudence retient que la soumission ou la tentative de soumission peut « notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties » (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 16 mai 2018, no 17/11187). 

B – Obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties 

Le déséquilibre significatif est le « fait, pour un opérateur économique, d’imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu’une contrepartie dont la valeur est disproportionnée au regard de la valeur du service rendu » (CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166, Ikea Supply).

Ainsi, la caractérisation du déséquilibre significatif repose sur l’analyse globale de la convention unissant l’entrepreneur principal et le sous-traitant. En ce sens, la jurisprudence retient que « le juge peut, si cela est invoqué, tenir compte du contrat dans sa globalité pour apprécier si certaines stipulations contractuelles sont utilement contrebalancées par d’autres pour rétablir l’équilibre » (Cass. com, 4 oct 2016, n°14-28.013).

La clause litigieuse ne doit pas être contrebalancée par une autre stipulation du contrat de sous-traitance ou par une éventuelle compensation.

S’il appartient à la société victime de produire la preuve d’un déséquilibre significatif, il revient au cocontractant de prouver que les clauses litigieuses sont contrebalancées par d’autres stipulations du contrat (Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-27.725).

Notons que la jurisprudence a déjà considéré que le caractère habituel de la clause litigieuse peut permettre d’exclure l’application de l’article L. 442-1 du code de commerce. En effet, par un arrêt en date du 18 décembre 2013, la cour d’appel de Paris a retenu que la clause attaquée était « habituelle dans un contrat de sous-traitance » et que, par conséquent, le déséquilibre significatif n’était pas caractérisé (CA Paris, 18 déc. 2013, n° 12/00150, min. de l’économie c/ Galec).

 

II – Comment obtenir une indemnisation au titre du déséquilibre significatif ?

 L’application de l’article L. 442-1 du Code de commerce permet au sous-traitant d’engager la responsabilité de l’entrepreneur principal (A) et justifier d’une indemnisation au titre du déséquilibre significatif (B).

A – La responsabilité de l’entrepreneur principal

Lorsque les conditions d’application de l’article L. 442-1 du Code de commerce sont réunies, l’auteur du déséquilibre significatif engage sa responsabilité.

La nature de cette responsabilité n’a pas été clairement établie par la jurisprudence. Toutefois, il est possible d’imaginer que la responsabilité du donneur d’ordre est de nature délictuelle, à l’instar de la responsabilité de l’auteur de la rupture brutale des relations commerciales établies visé par le même texte (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-13.178).

 

B – L’indemnisation du sous-traitant

L’article L. 442-4 du Code de commerce dispose que «  l’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités ».

Ainsi, le sous-traitant victime d’un déséquilibre significatif doit saisir la juridiction commerciale compétente afin d’obtenir une indemnisation. Outre l’indemnisation, le sous-traitant peut demander à cette juridiction d’ordonner la cessation de la pratique litigieuse, la nullité des clauses ou contrats illicites et, le cas échéant, exiger la restitution des avantages indus.

Conformément à l’article L. 110-4-I du Code de commerce, l’action du sous-traitant se prescrit par cinq ans :

  • pour la réparation du dommage : à compter de la date de réalisation du dommage ou de la date à laquelle celui-ci a été connu par la victime lorsqu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance ;
  • pour la nullité du contrat : à compter de la date de conclusion du contrat de sous-traitance ;
  • pour la répétition de l’indu : à compter de la date à laquelle le paiement est devenu indu.

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